Alter et faux
J'avais un sourire joueur sur cette photo. Le bonheur des vacances et de la plage se lisaient sur mes traits. Le cadre lui était sobre, en parfaite communion avec le linteau de la cheminée. Depuis quelques années déjà ma figure enfantine accueillait les visiteurs dans le salon et ma joie de vivre les mettait toujours de bonne humeur.
Cet autre moi a volé jusqu'à la corbeille il y a quelques minutes. Sans ta main dans la mienne, je crois bien que j'aurais intercepté sa chute inexorable. Je n'en suis même pas sûr en fait, tellement la voix de mon père me pétrifiait. Il criait, il pestait et en appelait à tous les dieux connus et inconnus.
Mes parents me croyaient prisonnier d'une plaque de verre, identique à leurs rêves. Ils m'imaginaient dans dix ans, conforme à leurs espérances.
Mais le petit garçon a grandi, suivant sa voie. Le petit garçon s'est compris, et aujourd'hui l'homme connaît la vie. Et il veut vivre en accord avec sa nature profonde. L'homme est venu demandé à ses parents de l'accepter tel qu'il est.
Cela fait des mois que j'avais du mal à soutenir mon propre regard en passant devant la cheminée, supporter le poids des espoirs parentaux. J'avais besoin de venir leur parler de moi, de nous, sans plus me défiler à chaque question gênante.
Cette photographie était celle de leur fils, pas celle du rebut de la société qui se présente devant eux la main dans celle d'un homme.